dimanche 17 janvier 2010

Le Roturier Illusionniste - 2

Puis ce jour là, un vent portant les échos de hurlements souffla de l'Ouest. Le capitaine de la garde de la Cité, Marinin fut alerté alors qu'il prenait son petit déjeuner dans la pièce froide et nue qui lui servait de bureau. Ses lourds sourcils se haussèrent quand un jeune soldat jaillit telle une fleur sans même frapper comme l'exigeait la politesse ou au moins le respect que doit tout soldat à son supérieur.
L'expression de Marinin se fit sévère, à la limite du rictus meurtrier qu'arboraient les Hallebardiers du Seigneur lors d'un affrontement sanglant. Le jeune recula, en soulageant malencontreusement sa vessie sur sa jambe. Marinin jugea bon de ne pas relever cette peureuse attitude. Mais comme le disait souvent Marinin, à haute voix ou non, mieux valait quelques vomissements ou autres effets dus à la terreur avant les batailles que pendant.
― Que se passe-t-il, soldat ?
― Une armée est en approche, mon général, déclara le jeune en prenant une attitude plus digne malgré la tâche qui s'épanouissait sur son pantalon beige.
― Quoi ? Où se trouvent les troupes ennemies ?
― A moins de trois lieues de la Cité, général.
― Qu'ont fait les éclaireurs postés le long de la frontière, bon sang !
Marinin renversa sa chaise austère après avoir fait jaillir une arme acérée d'un recoin de son pantalon.
― Et vous, pourquoi paraissez-vous si calme ? Pourquoi l'alerte n'a-t-elle pas été donnée ?
Une longue lame recourbée transperça sitôt le corps du jeune dont les lèvres s'entrouvrirent sous le choc. Un Flot de sang en jaillit sur un hoquet d'agonie. Le corps rebondit sur le plancher quand l'homme enveloppé de noir la retira d'un geste vif.
― Ah, la jeunesse ! En un autre lieu, on aurait fouetté ce jeune homme pour s'être fait dessus avec si peu de grâce et face à un général, qui plus est ! Au lieu de quoi, je l'ai puni comme il se doit, promptement. Il ne recommencera plus, jamais.
― Qui êtes vous ?
― Le Chevalier Noir, noble de la Belfonis, pour vous tuer, Général Marinin !
L'individu, dont le visage disparaissait sous un amas de bandes obscures, fit une révérence remarquable en croisant ses bottes de cuir sombres puis se redressa, sabre en main.
― Je réserve mes politesses au mort. Soyez en digne.
― Voilà une bien belle vanité venue d'un gredin coiffé d'un châle; en garde !
Les lames se croisèrent dans un chuintement féroce et une pluie d'étincelles explosa entre les deux fils tranchants. Les deux adversaires virevoltèrent dans l'étroit bureau tels des oiseaux pris en cage, renversant le peu d'affaires présentes avec fracas.
Un allongement d’épée força l'un d'eux à passer à travers la fenêtre crasseuse. Le chevalier Noir roula sur les pavés au milieu des bouts de verre éparts. Dans son dos, Marinin jaillit telle une bête dangereuse, deux lames menaçantes aux poings. Le fer heurta le fer au milieu des cris de stupeur des passants.
A quelques pas de là, la fontaine crachait ses eaux glacées sur un linceul drapant une belle femme de pierre aux formes éblouissantes. Assis plus bas, le Roturier aux vêtements colorés croquait doucement dans sa pomme bien rouge, au milieu d'une bande de jeunes gens époustouflés.
― Regardez, ils se battent ! cria l'un d'eux, tout excité.
― Qui est cet homme vêtu de noir ?
La jeune fille effarouchée redressa son chapeau à larges bords sur ses longs cheveux blonds, le doigt levé. Le Roturier mordit souplement dans son fruit, avec une expression boudeuse. Tout se terminait donc déjà ? Il s’amusait bien, pourtant.
Brusquement, le général poussa un long hurlement lorsque son adversaire lui trancha le bras. Son arme tomba lourdement sur le sol, accompagnée par un filet de sang. Le Chevalier Noir décapita promptement le Général aux yeux écarquillés. Des cris d'effrois s'élevèrent autour de la fontaine.
Ce dernier essuya son sabre sur les cheveux de sa victime et tourna les talons, indifférent à la venue d'un contingent de soldats armés de longues hallebardes meurtrières dans son dos. Il marcha d'un bon pas jusqu'aux jeunes gens figés de terreur, et les salua en liant ses deux mains.
― Mes salutations, gentes Dames; je vous pris de recevoir mes plus sincères excuses pour tout ce déferlement fort sanguin, ma foi.
Soudain, une boule enflammée illumina le Ciel au dessus de Felonix, tel un oeil crépusculaire...

La Fin

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"Mon histoire ne s'accorde ni à leur monde, ni à leur mode de vie; leurs vies et la mienne ne suivent pas le même chemin. J'ai un bien autre monde en tête, qui porte dans le même coeur son amère douceur et sa peine aimée, le ravissement de son coeur et la douleur de l'attente, la joie de la vie et la tristesse de la mort, la joie de la mort et la tristesse de la vie. En ce monde, laissez moi avoir mon monde, et être damné avec lui ou sauvé avec lui."

Gottfried de Strasbourg

"Quand Ils parlent d'espérances trompées,
De Tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater les coeurs;
leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air des cercles éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang."


Extrait de La Muse, d'Alfred Musset, tiré du recueil les Nuits de Mai