dimanche 8 novembre 2015

Les auteurs sont-ils réduits à être des esclaves et des masochistes ? (partie 1)

Un salon de bd... (exemple de masochisme consentant)

Alignés en rang d'ognons, dépossédés de leurs oeuvres, des bdéistes signent ; de l'autre côté des rangs de fans, les vendeurs surveillent, c'est la guerre de tranchées. Ils leur envoient leurs lecteurs avec la bd, une fois le billet encaissé dans leur tirelire. Les bdésistes, tous bien trentenaires, dessinent à la chaîne, en souriant de temps à autre, comme des prisonniers appréciant leur boulette de riz.
Ils leur manquent le collier, le licou, les boulets, peut-être aussi les menottes. Leur résignation est de celle qu'ont arboré les esclaves durant des décennies. Peut-être y prennent-ils du plaisir, comme des masochistes ?

Qui sont les geôliers et où est la prison ? En tant que visiteur, je n'ai heurté aucun barreau, sauf peut-être cette fois, où on a indiqué à ma chère un chemin à suivre dans les allées. Comme si une seule voie était à suivre.
Je sens cet élan de désespérance d'hommes qui refusent d'affronter leurs bourreaux. D'artistes dignes aux paupières lourdes d'un acquis de talent et qui semblent avoir perdu l'étincelle. Cette étincelle indomptable, qui se doit de brûler au sein de tout esprit artistique.

L'art, c'est du feu, du pouvoir, de la lumière et une arme.

Ce salon de la bd ressemble à une gigantesque librairie ; en plus glauque, au moins les bons libraires reconnaissent l'existence des auteurs et leurs accordent une place au coin du feu. C'est assez représentatif du climat ambiant dans le monde de la culture ; pas seulement. Vous avez les producteurs, tout en bas, vous savez ces êtres à la base de tout qui labourent les champs et fournissent céréales, blés, légumes, viandes et à qui on jette quelques piécettes de temps en temps en guise d'amuse-gueule. Parfois, même, un heureux élu reçoit une bourse sur le coin du crâne, au point qu'elle éclate, et libère ses joyaux sous l'oeil jaloux des autres esclaves.

Pourquoi lui et pas moi ?

Ce n'est pourtant pas lui qui tient le cordon de la bourse. Pas lui qui manie la badine et le fouet. Qui fait la pluie et le beau temps au sommet de la "chaine" éditoriale. Même le terme qui qualifie le système se réfère à l'esclavage !

Et où sont passés tous les T-Shirt, les slogans, " auteurs bientôt tous à poils", ces vaillants défenseurs de leurs droits ?
J'aurais préféré croiser des types en colère, des rebelles ; le climat aurait été plus ardent, plus passionné. Peut-être y aurait-il eu un mur de caricatures hilarantes saignant leurs géoliers ?
Ah, je ne pense pas que vous ayez enfilé ces t-shirt pour revaloriser vos conditions de travail ou renforcer votre poids face aux éditeurs. Vous les avez mis à cause des lois actuelles, qui viennent amputer certains auteurs d'un mois de salaire à cause d'un pourcentage obligatoire de retraite complémentaire (la blague, combien d'auteurs ont une retraite ?! Et combien gagnent ne serait-ce qu'un mois de salaire ?). Et si les éditeurs, ceux qui vivent grâce à votre labeur, compensaient cette perte en augmentant votre pourcentage ? Y avez-vous pensé ? Je n'ai lu cette proposition nulle part ! Certains ont même confié sur le web comme des enfants punis qu'ils arrêteraient tout s'ils n'étaient pas entendus.
Un artiste ne se bat pas seulement en manifestant avec des slogans, mais en pratiquant son art et surtout pas en privant autrui. Ce genre de propos m'exaspère.

Et je ne vous jette pas le clavier en attendant la tempête, ce n'est pas seulement votre faute. Cela dure depuis plus de cinquante ans. Depuis plus de cinquante ans, on a appris aux auteurs de tout type à être esclave du business-modèle de l'éditeur, à confier à d'autres les rênes de leur destin et de leur art.
Aujourd'hui, nous en sommes là, car trop peu se sont levés de leurs putains de chaises. Nos prédécesseurs sont à 50% responsables de la mainmise des éditeurs sur la culture. Peu ont dit "sans moi, éditeurs, libraires, diffuseurs, vous n'existez pas et je veux toucher un salaire"; non, pire, certains se sont dits "sans l'éditeur, je ne suis rien, je n'existe pas." Comme si l'éditeur était un sacro-saint empereurs aux goûts plus élevés que le commun des mortels !

Il faut revaloriser nos conditions de vie et notre travail.

Quels sont ces crayons sur lesquels nos doigts tremblotent de passion au-dessus de la feuille blanche ? Que dessinons-nous ou écrivons-nous ? Des illusions ? Des produits de consommation en devenir ? Rien ? L'éditeur nous ont-il mis ces crayons dans les mains ? Lui devons-nous tout ?

C'est notre volonté qui nous a fait dessiner, écrire, créer. Et cela, nous ne le devons à personne.

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"Mon histoire ne s'accorde ni à leur monde, ni à leur mode de vie; leurs vies et la mienne ne suivent pas le même chemin. J'ai un bien autre monde en tête, qui porte dans le même coeur son amère douceur et sa peine aimée, le ravissement de son coeur et la douleur de l'attente, la joie de la vie et la tristesse de la mort, la joie de la mort et la tristesse de la vie. En ce monde, laissez moi avoir mon monde, et être damné avec lui ou sauvé avec lui."

Gottfried de Strasbourg

"Quand Ils parlent d'espérances trompées,
De Tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater les coeurs;
leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air des cercles éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang."


Extrait de La Muse, d'Alfred Musset, tiré du recueil les Nuits de Mai