Un salon de bd... (exemple de masochisme consentant)
Alignés en rang
d'ognons, dépossédés de leurs oeuvres, des bdéistes signent ; de
l'autre côté des rangs de fans, les vendeurs surveillent, c'est la
guerre de tranchées. Ils leur envoient leurs lecteurs avec la bd,
une fois le billet encaissé dans leur tirelire. Les bdésistes, tous
bien trentenaires, dessinent à la chaîne, en souriant de temps à
autre, comme des prisonniers appréciant leur boulette de riz.
Ils leur manquent le
collier, le licou, les boulets, peut-être aussi les menottes. Leur
résignation est de celle qu'ont arboré les esclaves durant des
décennies. Peut-être y prennent-ils du plaisir, comme des
masochistes ?
Qui sont les
geôliers et où est la prison ? En tant que visiteur, je n'ai heurté
aucun barreau, sauf peut-être cette fois, où on a indiqué à ma
chère un chemin à suivre dans les allées. Comme si une seule voie
était à suivre.
Je sens cet
élan de désespérance d'hommes qui refusent d'affronter leurs
bourreaux. D'artistes dignes aux paupières lourdes d'un acquis de
talent et qui semblent avoir perdu l'étincelle. Cette étincelle
indomptable, qui se doit de brûler au sein de tout esprit
artistique.
L'art, c'est
du feu, du pouvoir, de la lumière et une arme.
Ce salon de la bd
ressemble à une gigantesque librairie ; en plus glauque, au moins
les bons libraires reconnaissent l'existence des auteurs et leurs
accordent une place au coin du feu. C'est assez représentatif du
climat ambiant dans le monde de la culture ; pas seulement. Vous avez
les producteurs, tout en bas, vous savez ces êtres à la base de
tout qui labourent les champs et fournissent céréales, blés,
légumes, viandes et à qui on jette quelques piécettes de temps en
temps en guise d'amuse-gueule. Parfois, même, un heureux élu reçoit
une bourse sur le coin du crâne, au point qu'elle éclate, et libère
ses joyaux sous l'oeil jaloux des autres esclaves.
Pourquoi lui et pas moi ?
Ce n'est pourtant pas lui
qui tient le cordon de la bourse. Pas lui qui manie la badine et le
fouet. Qui fait la pluie et le beau temps au sommet de la "chaine"
éditoriale. Même le terme qui qualifie le système se réfère à
l'esclavage !
Et où sont passés tous
les T-Shirt, les slogans, " auteurs bientôt tous à poils",
ces vaillants défenseurs de leurs droits ?
J'aurais préféré
croiser des types en colère, des rebelles ; le climat aurait été
plus ardent, plus passionné. Peut-être y aurait-il eu un mur de
caricatures hilarantes saignant leurs géoliers ?
Ah, je ne pense pas que
vous ayez enfilé ces t-shirt pour revaloriser vos conditions de
travail ou renforcer votre poids face aux éditeurs. Vous les avez
mis à cause des lois actuelles, qui viennent amputer certains
auteurs d'un mois de salaire à cause d'un pourcentage obligatoire de retraite complémentaire (la
blague, combien d'auteurs ont une retraite ?! Et combien gagnent ne
serait-ce qu'un mois de salaire ?). Et si les éditeurs, ceux qui
vivent grâce à votre labeur, compensaient cette perte en augmentant
votre pourcentage ? Y avez-vous pensé ? Je n'ai lu cette proposition
nulle part ! Certains ont même confié sur le web comme des enfants punis qu'ils
arrêteraient tout s'ils n'étaient pas entendus.
Un artiste ne se bat pas
seulement en manifestant avec des slogans, mais en pratiquant son art
et surtout pas en privant autrui. Ce genre de propos
m'exaspère.
Et je ne vous jette pas
le clavier en attendant la tempête, ce n'est pas seulement votre
faute. Cela dure depuis plus de cinquante ans. Depuis plus de
cinquante ans, on a appris aux auteurs de tout type à être esclave
du business-modèle de l'éditeur, à confier à d'autres les rênes
de leur destin et de leur art.
Aujourd'hui, nous en
sommes là, car trop peu se sont levés de leurs putains de chaises.
Nos prédécesseurs sont à 50% responsables de la mainmise des
éditeurs sur la culture. Peu ont dit "sans moi, éditeurs,
libraires, diffuseurs, vous n'existez pas et je veux toucher un
salaire"; non, pire, certains se sont dits "sans l'éditeur,
je ne suis rien, je n'existe pas." Comme si l'éditeur était un
sacro-saint empereurs aux goûts plus élevés que le commun des mortels !
Il faut revaloriser nos
conditions de vie et notre travail.
Quels sont ces crayons
sur lesquels nos doigts tremblotent de passion au-dessus de la feuille
blanche ? Que dessinons-nous ou écrivons-nous ? Des illusions ? Des
produits de consommation en devenir ? Rien ? L'éditeur nous ont-il
mis ces crayons dans les mains ? Lui devons-nous tout ?
C'est notre volonté qui
nous a fait dessiner, écrire, créer. Et cela, nous ne le devons à
personne.
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