Sans Nom. Cette ville contemporaine, à la frontière de divers mondes, dort paisiblement dans ses propres déjections. Noirs sont les rivages du fleuve qui la parcourent. Sombres sont les volutes de poussières qui s’échappent des pots d’échappement. Les klaxons hurlent; la foule se rue dans les bouches de métros. Hommes et femmes se bousculent dans une confusion temporelle, incapables de dévier de leur trajectoire. Ils sont réglés, montres aux poignets, heures tapantes. La seconde devient primordiale; elle mène à la réussite. Qu’importe qui a l’infime malheur d’emprunter le même escalier en sens inverse. Qu’importe la lenteur effarante de cette vieille dame. Qu’importe le clochard livide aux dents pourris et sa boîte en plastique où scintillent quelques pièces couleur bronze.
J’ai encore observé cette scène, hier dans la matinée. Elle m’en a rappelé une autre similaire, que j’avais vu la semaine précédente. J’avais envie de la décrire sur ces pages; je me suis acheté ce carnet l’autre jour, avec l’intention d’y rédiger mon histoire.
Je connaissais quelqu’un qui préférait les animaux aux hommes. Il était fasciné par les rats. Il prédisait même qu’un jour, ces animaux poilus aux pupilles écarlates domineraient cette planète Sans Nom. Avait-il raison ? Avait-il tord ?
Je ne le saurais jamais; avec Aurore, nous avons transpercé le dernier rat mutant. Il avait la même taille qu’un être humain, et sa force rivalisait avec celle d’une voiture cylindrée lancée à plein vitesse sur l’autoroute.
Comment ai-je pu survivre à cette horreur ?
Parce que je n’ai pas voulu mourir.
Même lorsque l’on m’a trahi, je me suis relevé. J’aurais pu rester couché sous la pluie, foudroyé par les dieux, le Destin, le Hasard ou que sais-je encore.
Remontons à l’hiver de cette année là, soit environ six mois plus tôt. Ce soir là, j’effrayais mon petit frère avec quelques phrases découvertes sur tous les ordinateurs de la salle informatique. Ce mystérieux message ne m’était pas destiné, et il n’avait de sens que pour la personne qu’il visait. Celle avec qui tout commença et tout se termina, d’une certaine manière; Anna. Anna Dêlange.
Extrait du journal de Galf Bell, 21 Juin 2013.
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