mercredi 20 janvier 2010

« Glaciale est la pierre que nous foulons de nos pas »

   Le garçon regardait d’un air impassible les flambeaux écumer l’horizon de reflets sanglants. Il voyait le cœur de la vallée s’étirer entre deux gigantesques montagnes ombragées. Leurs ombres, au combien gloutonnes, engloutissait sous un amas insidieux les plaintes volubiles des agonisants. La forêt tout entière retentissait de leurs cris, les branches bruissant au rythme des notes de terreur exhalées par les mourants. En surplomb sur une corniche, le garçon pleurait à présent car il se savait aussi impuissant à les sauver qu’à la sauver elle.
   Elle état morte là, à côté de lui, sa jambe brisée recourbée sinistrement sous son corps, l’angle de ses prunelles plongé dans les ténèbres. Ensemble, ils fuyaient les ravages des hommes qui ne voient pas, ne vivent que pour haïr, sans foi ni lois, sans Cœur.
   Désormais, le garçon était seul, elle était morte. Lui, il attendait qu’elle revienne pour l’aimer, le lui susurrer à l’oreille. Mais de sa bouche ensanglantée ne jaillissait plus que du sang, sombre liquide s’égouttant sur la pierre.
« Impuissant est l’Homme à se délier de son fardeau,
Impuissant est l’Homme à abattre ses maux,
 Impuissant est l’Homme à sauver son Amour… »
   A genoux sur la pierre glaciale, le garçon sait que la Lumière est bien trop loin pour espérer. Dans son dos, le Tueur s’avance, ses mèches rouges évoquant les torrents de sang qu’il venait de faire couler.
« Le Ciel n’entend-il pas ces cris d’agonie ? Et bien moi, je mourrais en silence car il ne sert à rien d’espérer et la foi seule aurait pu me sauver mais je l’ai perdu avant même d’avoir pu chanter mon Amour sous les étoiles. »
Nulle flamme n’éblouit les cieux. Ces derniers restent désespérément vides. Et la Lame du Tueur, d’une justesse sans égal, vient pourfendre le cœur du garçon et aspire sa vie. Le linceul de ses yeux se trouble d’ombres. Le garçon bascule face contre terre, son sang maculant la pierre d’entrelacs de mort. Une goutte glisse sur son menton, enténèbre une dernière fois ses songes, puis se fond dans les interstices de la roche. Une ultime larme obscurcit ses paupières. Il ferme les yeux et rêve… d’une vie avant de mourir, seul, sans comprendre pourquoi le destin s’est acharné à sa perte. Le précieux liquide obstrue sa gorge.
   Il ne reste rien de lui… D’un clin d’œil sanguinaire, le Soleil salue la mort d’un anonyme avant de sombrer à son tour à l’horizon… Oublié là-bas, dans le Sud.

J.H.R.L.A.T.N.

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"Mon histoire ne s'accorde ni à leur monde, ni à leur mode de vie; leurs vies et la mienne ne suivent pas le même chemin. J'ai un bien autre monde en tête, qui porte dans le même coeur son amère douceur et sa peine aimée, le ravissement de son coeur et la douleur de l'attente, la joie de la vie et la tristesse de la mort, la joie de la mort et la tristesse de la vie. En ce monde, laissez moi avoir mon monde, et être damné avec lui ou sauvé avec lui."

Gottfried de Strasbourg

"Quand Ils parlent d'espérances trompées,
De Tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater les coeurs;
leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air des cercles éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang."


Extrait de La Muse, d'Alfred Musset, tiré du recueil les Nuits de Mai