« Entrez
dans mon monde et voyez : la vie demeure, ce sont juste les hommes qui
meurent. »
Lunombre
Île
inconnue, 172ème Lune
La Lune d’Ambre escaladait les cieux de
ses ailes agitées. Des perturbations se formaient sur ses pourtours, créant des
halos orange sur les flots. Ces chocs de couleur arrosaient l’île obscure comme
en plein jour. Des fleurs blanches bruissaient sous les déferlements du vent
silencieux. Ce long tapis naturel s’épanouissait entre des arbres aux feuilles
d’ambre. Un pied botté s’abattit brutalement au milieu des plantes, déclenchant
une envolée de pétales blancs et fripés.
Le Baron rejeta son long manteau gris
sur ses épaules, et rabattit son chapeau à large bord uni et sombre sur ses
traits livides. Un reflet de sourire parcourut le miroir qu’il tenait dans le
creux de sa main. Il aimait s’y admirer de manière triomphale, lorsque d’égard,
tout lui réussissait.
Plus loin, un monument ancien, dévoré
par des peaux de lichens, se convulsait vers les cieux bleutés. Il s’agissait
d’une aiguille d’un peu plus de trois mètres de haut, transportable par un être
humain de forte carrure, comme son Second. Ce dernier suivait son capitaine
d’une démarche d’assassin ; à la fois souple et vive. Son crâne chauve
était environné de reflets jaunâtres.
— Lonefey, déterre cette relique divine
et emporte-la jusqu’aux navires, ordonna le Baron d’une voix rauque.
L’individu enfila d’étranges gants
métalliques, qui augmentaient sa force, au prix de quelques effets secondaires
brûlants. Des cloques couvraient souvent sa peau brunie. Ignorant la douleur,
Lonefey plongea ses bras dans le sol jusqu’aux coudes. S’arcboutant, il délogea
brutalement le pilier de sa gangue terrestre millénaire.
De la mousse, des pétales et des mottes
de terre voltigèrent aux alentours. Le temps de reprendre son souffle et son
équilibre, Lonefey posa un genou à terre. Il frôla son capitaine, puis se
dirigea vers le navire. Le Pavillon des Dieux, tel était son nom, était amarré
à fleur de rochers au milieu des vagues hurlantes de l’océan des Feux Glacés.
Le Baron lui emboîta le pas d’un air satisfait.
Non loin de là sur la jetée, une
vieille main ridée s’agrippait au pommeau d’une canne en Scélénium, un métal
qui capturait l’énergie ambiante. Les doigts de cette silhouette bottée étaient
tendus et blafards. Sa voix inquiétante évoquait un murmure diffus qui allait
en s’amplifiant dans les tons caverneux.
— Vous avez désormais en votre
possession l’épine, Baron.
— Nous l’activerons seulement lors de
la purification du monde et de notre confrontation avec les dieux. En attendant
ce jour béni où ils tomberont, j’utiliserai les pouvoirs de mes Aïeuls. Je
combattrai mes opposants à armes égales.
Une flamme rouge environnée de feux
verdâtres s’agrippa à sa main libre.
— Faîtes comme bon vous semble, mais
n’oubliez pas notre marché, Baron. Si vous échouez…
— Je perdrais jusqu’à mon âme ; je
n’oublie rien, démon lunaire.
Le Baron laissa son pouvoir se dissiper
sur une mince fumée. Il reporta son attention sur son petit miroir. Un rictus
de pure joie retroussa ses lèvres à sa propre vue.
Certains êtres dominaient les autres
grâce à leur charisme et leur supériorité mentale et physique. Mais tous les
hommes, aussi faibles qu’ils soient, avaient leur utilité, même dans la
déchéance ultime. La mort servait la vie. La loi divine du monde de Lunambre et de ses
déserts de vies urbaines était inaltérable depuis des temps immémoriaux.
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