dimanche 28 octobre 2012

Lunombre 1 La Flamme Bleue (extrait)



« Entrez dans mon monde et voyez : la vie demeure, ce sont juste les hommes qui meurent. »
Lunombre

Île inconnue, 172ème Lune

   La Lune d’Ambre escaladait les cieux de ses ailes agitées. Des perturbations se formaient sur ses pourtours, créant des halos orange sur les flots. Ces chocs de couleur arrosaient l’île obscure comme en plein jour. Des fleurs blanches bruissaient sous les déferlements du vent silencieux. Ce long tapis naturel s’épanouissait entre des arbres aux feuilles d’ambre. Un pied botté s’abattit brutalement au milieu des plantes, déclenchant une envolée de pétales blancs et fripés.
   Le Baron rejeta son long manteau gris sur ses épaules, et rabattit son chapeau à large bord uni et sombre sur ses traits livides. Un reflet de sourire parcourut le miroir qu’il tenait dans le creux de sa main. Il aimait s’y admirer de manière triomphale, lorsque d’égard, tout lui réussissait.
Plus loin, un monument ancien, dévoré par des peaux de lichens, se convulsait vers les cieux bleutés. Il s’agissait d’une aiguille d’un peu plus de trois mètres de haut, transportable par un être humain de forte carrure, comme son Second. Ce dernier suivait son capitaine d’une démarche d’assassin ; à la fois souple et vive. Son crâne chauve était environné de reflets jaunâtres.
   — Lonefey, déterre cette relique divine et emporte-la jusqu’aux navires, ordonna le Baron d’une voix rauque.
   L’individu enfila d’étranges gants métalliques, qui augmentaient sa force, au prix de quelques effets secondaires brûlants. Des cloques couvraient souvent sa peau brunie. Ignorant la douleur, Lonefey plongea ses bras dans le sol jusqu’aux coudes. S’arcboutant, il délogea brutalement le pilier de sa gangue terrestre millénaire.
   De la mousse, des pétales et des mottes de terre voltigèrent aux alentours. Le temps de reprendre son souffle et son équilibre, Lonefey posa un genou à terre. Il frôla son capitaine, puis se dirigea vers le navire. Le Pavillon des Dieux, tel était son nom, était amarré à fleur de rochers au milieu des vagues hurlantes de l’océan des Feux Glacés. Le Baron lui emboîta le pas d’un air satisfait.
Non loin de là sur la jetée, une vieille main ridée s’agrippait au pommeau d’une canne en Scélénium, un métal qui capturait l’énergie ambiante. Les doigts de cette silhouette bottée étaient tendus et blafards. Sa voix inquiétante évoquait un murmure diffus qui allait en s’amplifiant dans les tons caverneux.
   — Vous avez désormais en votre possession l’épine, Baron.
   — Nous l’activerons seulement lors de la purification du monde et de notre confrontation avec les dieux. En attendant ce jour béni où ils tomberont, j’utiliserai les pouvoirs de mes Aïeuls. Je combattrai mes opposants à armes égales. 
Une flamme rouge environnée de feux verdâtres s’agrippa à sa main libre.
   — Faîtes comme bon vous semble, mais n’oubliez pas notre marché, Baron. Si vous échouez…
   — Je perdrais jusqu’à mon âme ; je n’oublie rien, démon lunaire.
   Le Baron laissa son pouvoir se dissiper sur une mince fumée. Il reporta son attention sur son petit miroir. Un rictus de pure joie retroussa ses lèvres à sa propre vue.
   Certains êtres dominaient les autres grâce à leur charisme et leur supériorité mentale et physique. Mais tous les hommes, aussi faibles qu’ils soient, avaient leur utilité, même dans la déchéance ultime. La mort servait la vie. La loi divine du monde de Lunambre et de ses déserts de vies urbaines était inaltérable depuis des temps immémoriaux.

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"Mon histoire ne s'accorde ni à leur monde, ni à leur mode de vie; leurs vies et la mienne ne suivent pas le même chemin. J'ai un bien autre monde en tête, qui porte dans le même coeur son amère douceur et sa peine aimée, le ravissement de son coeur et la douleur de l'attente, la joie de la vie et la tristesse de la mort, la joie de la mort et la tristesse de la vie. En ce monde, laissez moi avoir mon monde, et être damné avec lui ou sauvé avec lui."

Gottfried de Strasbourg

"Quand Ils parlent d'espérances trompées,
De Tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater les coeurs;
leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air des cercles éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang."


Extrait de La Muse, d'Alfred Musset, tiré du recueil les Nuits de Mai