samedi 10 avril 2010

Amour Lunaire

« Ce jour là, un homme t’a sauvé la vie. Tu n’as jamais pu l’oublier. Tu l’aimais. Lorsque tu dors, tu le revois, lire le journal, assis sur ce banc, t’adressant un sourire discret alors que tu croyais le surprendre… »


Judith arpentait les lieux de long en large, rongeant des ongles maintes fois arrachés. Elle ne savait pas pourquoi elle était si anxieuse. La lumière lunaire perçait la voûte nuageuse, jouant sur sa jolie frimousse dissimulée par un capuchon à poils. On décelait deux prunelles vert pâle entre ses cheveux de soie noire.
   La jeune femme repoussa un bâton d’un coup de pied précis. Un sourire amusé courba ses lèvres pleines. Elle se revoyait plus jeune, lors de sa première mission, glacée par la grêle, émerveillée par la Lune. Elle avait tiré son poignard courbée d’un replis de son manteau et ensuite, tranché la gorge de sa cible avec une facilité déconcertante.
   Pourquoi serait-ce différent aujourd’hui ?
Son sourire s’élargit, et se refléta sur la lame lisse aux reflets argentés. Son arme ouvragée, bordée d’ailes d’ange, était parfaitement équilibrée et aussi tranchante qu’au premier jour de sa naissance. Aucune gorge n’en réchapperait, pas même celle de cette homme.
   Pourtant, Judith hésitait. Ce garçon lui plaisait, d’une certaine manière, elle espérait presque qu’il lui échappe. Il lui suffisait de courir plus vite qu’elle. Ce n’était pas bien difficile. Il lisait sans doute à la lueur d’une lampe à huile sur son banc, comme à son habitude, tout en se gorgeant de la nuit. Cette lueur oscillante la fascinait. Si elle le tuait, s’éteindrait-elle d’un coup ? Ou bien resterait-elle quelques secondes en suspens, comme la vie de sa victime ?
   Le parc était silencieux. Quelques ombres se prélassaient près de la fontaine. Des graviers craquaient sous ses souliers à mesure qu’elle parcourait des chemins fertiles en petites touffes d’herbes drues.
   Avec désinvolture, la jeune femme fit tournoyer son poignard entre ses doigts gracieux, d’une blancheur aristocratique et égratigna les silhouettes des arbres penchées sur elle tels des dieux indiscrets. Une vie ne tenait qu’à un fil, celui de cette petite chose aussi volatile qu’une courbure sur la surface d’un lac paisible.
   Judith n’avait qu’à faire ce geste incisif, celui qu’elle exécutait depuis sa plus tendre enfance sur des mannequins de paille.
   Mais elle ne pouvait pas encore s’y résoudre.
Un chien aboya sur ses talons. Il le suivait depuis déjà une bonne demi-heure. Allait-elle l’égorger, lui aussi ?
   Judith se perça le pouce avec la pointe de son poignard. Il l’avait aperçu et refermait son livre. Qu’allait-il faire ? Quelqu’un voulait sa mort. Il la connaissait depuis déjà quelques mois. Se douterait-il que cette fois-ci, elle était venue pour le tuer ?
   Il lui adressa un sourire discret, se leva, s’approcha en balançant sa lanterne à bout de bras. Qu’espérait-il ? Lui faire changer d’avis ?
   Du sang chaud ruissela le long de la main de Judith. Le jeune homme continua sa route sans ralentir, l’effleura sans peur et souffla :
   « Bonsoir, Belle de Mort. N’est-ce pas Cerbère, qui te suit, en cet instant ? »
Le chien gronda. Avec un sourire aussi mince que le fil de son arme, Judith rétorqua :
   « Cours. » 

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"Mon histoire ne s'accorde ni à leur monde, ni à leur mode de vie; leurs vies et la mienne ne suivent pas le même chemin. J'ai un bien autre monde en tête, qui porte dans le même coeur son amère douceur et sa peine aimée, le ravissement de son coeur et la douleur de l'attente, la joie de la vie et la tristesse de la mort, la joie de la mort et la tristesse de la vie. En ce monde, laissez moi avoir mon monde, et être damné avec lui ou sauvé avec lui."

Gottfried de Strasbourg

"Quand Ils parlent d'espérances trompées,
De Tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater les coeurs;
leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air des cercles éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang."


Extrait de La Muse, d'Alfred Musset, tiré du recueil les Nuits de Mai