dimanche 16 septembre 2012

Sans Nom T1 Feux et Cendres (Extrait)

  
 Voici un nouvel extrait d'un autre roman, qui mérite une réécriture tranchante :

La ville de Sans Nom s’épanouissait en une cataracte de ténèbres informe et malodorante. Immeubles insalubres et spectrales croupissaient dans leurs ombres. Les rues étroites et les avenues étaient parsemées de lampadaires bancals. Ils diffusaient une pâle clarté que l’aube soufflait déjà. Sans Nom faisait référence à l’Arcane de tarot numéro XIII, la Mort, et en tant que tel, malgré sa banalité, la cité détenait un charme sinistre, digne du baiser glaciale de la Faucheuse. Elle avait une longue histoire, ayant été bâtie des siècles plus tôt par les premiers hommes qui s’étaient installés sur le continent d’Ark. Elle se situait au cœur d’une vallée au milieu de deux fleuves noirs, entre des Monts immenses dévorés par les brumes. Au loin, bien plus haut, un barrage gigantesque jaillissait du brouillard par intermittence, fournissant l’essentiel de son énergie. En contrebas, la corde sombre de la rocade étranglait Sans Nom.
   La voiture noire filait à vive allure sur l'autoroute. Le chauffeur aux cheveux argentés portait des lunettes de Soleil rondes sur son nez de belle longueur. Ses pupilles d'argiles brillaient sitôt derrière, et d'importants sourcils foncés se rejoignaient au dessus d’elles. Mais c'était sans aucun doute le corps trapu et fort du chauffeur qui retenait le plus l'attention, ainsi que l'étrange matraque blanche qu'il portait à la ceinture. Le mystère demeurait en cela que la dite matraque mesurait moins de vingt centimètres de long. La voix veloutée de Gustave retentit dans le véhicule luxueux à l‘adresse d’une jeune femme distraite allongée sur la banquette arrière.
   ― Mademoiselle, nous allons bientôt arriver à l'université, vous devriez...
   ― Laissez-moi me reposer, espèce de vieille brêle chevaleresque, fit-t-elle sur un ton las.
L'étudiante repoussa sa frange blonde hors de son angle de vue et foudroya son protecteur du regard. Ses gigantesques prunelles marron se troublèrent d’un mince fil violet, qui dans d’autres circonstances, aurait alerté le spectateur moyen de leur étrangeté.
   ― Ce n'est pas de ma faute si vous avez fait la fête toute la nuit, protesta le garde du corps, vexé.
  ― En effet, Gustave, ce n'est pas de votre faute. Il n'empêche néanmoins que vous êtes responsable du ronronnement caverneux et agaçant au possible, de cet engin de malheur.
La jeune femme glissa son bras sous son menton, après avoir fait volte-face en étirant ses longues jambes.
   ― Qui plus est, cette fête était d'un ennui. Passer sa soirée à boire, à parler de rien et à s'égarer dans le vent; j’avais un petit espoir de m'amuser. Et bien, non, non, c'était une catastrophe. Des bruits écœurants ont joué en rythme avec la musique, elle-même assez puissante pour percer les tympans d’un sourd. De la fumée auréolait l’air à chaque recoin de salles ! Et je ne parle même pas de ces barbares qui avaient l'intention d'emmancher plusieurs filles fortement éméchées. Ils arrivaient tous comme des poids lourds avec une haleine capable de rivaliser avec l’exhalaison d’une bouche d’égout. Aucun style. Tous ces salauds, ses « empalleurs » artificiels, ces morveux tous paumés…
   ― Arrêtez avec ce vocabulaire barbare, Anna ! s'exclama Gustave, faussement outré.
C’était un jeu amusant qu’ils entretenaient l’un envers l’autre depuis leur fugace rencontre, quelques semaines plus tôt. Ils se donnaient la réplique pour créer une aura de détente, et oublier un peu la raison de leur présence sur cette planète. Gustave se déporta sur la gauche pour doubler un véhicule à la mode, et notamment son propriétaire, qui lui faisait de l'œil dans son gros rétroviseur droit, l‘air de dire : « T’as vu ma caisse, hein, hein? ». 
   ― Je n'ai fait que reprendre les termes de ces obsédés, se défendit mollement Anna.
   ― Mais qu’attendiez-vous des jeunes êtres à la vie éphémère peuplant cette planète Sans Nom ? Ils sont jeunes et profitent de la vie de manière expéditive et jouissive; c’est dans leur nature.   
   ― Peut-être bien, mais il existe une certaine différence entre l'obsession chronique excessive et l'attirance réciproque naturelle. Baiser pour baiser, c'est d'une absurdité !
Gustave fut à deux doigts de perdre les pédales, de manière fort littérale. La voiture parut faire un bond grandiloquent après avoir doublé un chauffard, au bras d'honneur brandi dans son rétroviseur gauche. Anna retomba après avoir eu droit à un petit déplacement orbital au dessus de la banquette arrière.
   ― Vous conduisez vraiment comme une carpe, Gustave !
   ― Disons que ma conduite est à l'effigie de votre vocabulaire, ainsi nous sommes quitte…
A vrai dire, ce n’était pas le vocabulaire de sa protégée qu'il redoutait, mais une possible attaque d’Ira. Anna se renversa sur le dos, en remontant son jeans d'une main. Personne ne devait savoir qu'elle portait des culottes en dentelles, surtout pas cet idiot de Gustave. Son père ne tolérait aucune fantaisie; tout comme le peuple qu’il représentait, et comme elle aurait dû le faire. Mais elle avait vécu un peu plus de trois ans sur Sans Nom, et s’était entiché du mode de vie des êtres humains.        
   ― Ils ne savent pas qui vous êtes vraiment. Sinon, à défaut de vous vénérer, ils vous obéiraient au doigt et à l’œil, ajouta Gustave avec humour.
   ― Dîtes, Gustave, vous m'en voudriez si je vous apprenais que j'ai malencontreusement perdue mon calme hier soir ?
   ― Qu'avez-vous encore fait, Anna !
   ― Disons que j'ai donné une leçon à tous ces fourbes. Ces épaves me tapaient sur les nerfs avec leur rictus grotesque. J'ai crée un nuage de brume avec une bombe spéciale, après avoir évacué toutes les filles en lieux sûrs. Devinez-vous la suite ou faudra-t-il que je vous la souffle, Gustave ?...
Ce dernier avait une vague idée des événements qui avaient découlé des agissements d‘Anna.
   ― Vous donnez votre langue au chat ! Parfait. Quand le brouillard s’est dissipé, leurs doigts se sont retrouvés en terres étrangères. A mon avis, ils ne recommenceront pas de sitôt.
   ― Vous avez encore révélé vos capacités ? Les mails d’IRA ne vous suffisent plus ?
   ― Je m'en fiche royalement.
Au même instant, Gustave quittait l'autoroute avec un long soupir, ses deux mains bien serrées sur le volant de son véhicule. Ce nouveau job ne l’enchantait guère; la petite n’en faisait qu’à sa tête. Si son employeur, autrement dit le père d'Anna, l'apprenait, ce serait le carton vide pour lui le mois suivant. Sa paye s'envolerait tel un oiseau, et il aurait beau jeu d'expliquer qu'il ne pouvait rien y faire. Cela reviendrait seulement à avouer son incompétence.
   ― Inutile d'aller jusqu'à l'université avec cette voiture voyante. Arrêtez-vous là, déclara-t-elle en désignant l'entrée d'un parc.
   ― Je dois...
   ―Ne discutez pas, faites ce que je vous dis de faire.
Quelques secondes plus tard, la portière claquait sur la silhouette élancée d'Anna. Cette dernière posa ses lunettes de Soleil carrés sur son nez et serra contre elle son sac en bandoulière avant de bâiller longuement. Elle s'étira devant l'entrée clairsemée du parc, puis elle s'élança vaillamment sous les arbres hauts et ternes du mois d’Hiver.   

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L'histoire se déroule sur un monde nommé "Sans Nom", très proche du notre technologiquement. Si j'en juge par mon projet intégral, tout est sensé se terminer au milieu de la galaxie sur une planète nommée Gan-Métal ; le titre de cette nouvelle saga changera (les 4 premiers Tomes sont rédigés...) Cet univers est différent de celui du monde de Lunambre, mais a été écrit avant. Sans Nom marque le tournant qu'a pris ma plume ces dernières années.
 
A suivre, un jour ; seul le premier tome de la Danse du Lys et la Ière partie du monde de lunambre ont été publiés pour le moment. Je vous invite à vous les procurer. : )

ps : à noter que le Ier jet du tome 5 de la Danse du Lys est achevé. 2500 mots ont suffi.

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"Mon histoire ne s'accorde ni à leur monde, ni à leur mode de vie; leurs vies et la mienne ne suivent pas le même chemin. J'ai un bien autre monde en tête, qui porte dans le même coeur son amère douceur et sa peine aimée, le ravissement de son coeur et la douleur de l'attente, la joie de la vie et la tristesse de la mort, la joie de la mort et la tristesse de la vie. En ce monde, laissez moi avoir mon monde, et être damné avec lui ou sauvé avec lui."

Gottfried de Strasbourg

"Quand Ils parlent d'espérances trompées,
De Tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater les coeurs;
leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air des cercles éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang."


Extrait de La Muse, d'Alfred Musset, tiré du recueil les Nuits de Mai