samedi 6 mars 2010

Le Spectre en Flamme

   Le Spectre arpente le goudron austère d’une immense avenue. La brume l’auréole tel un manteau de vapeur impénétrable. Il virevolte sous des flots de grêles enflammées, s’arrête, ajuste sa lame et fend la glace d’un élégant geste du poignet. Des embruns de givre glissent le long de sa silhouette et goutte sur le sol tapissé de cendres. Sur son passage, des arches imposantes et carbonisées basculent au moindre souffle d’air, le forçant à suivre une trajectoire courbe et parfois même à revenir sur ses pas.

     « Ce Fantôme incarne une lutte âpre et dévastatrice dans un monde de lumière disparu. »

   La Mort s’enroule dans des draps noirs et s’élance à sa poursuite d’un vol agile. Les ombres s’embrasent au détour des ruelles et des lampadaires vides, sur le fil de sa faux embrasée.
   La Faucheuse, il l’esquive d’un mouvement véloce, et lui adresse un mince sourire imperceptible. Dans ses prunelles viennent jouer les reflets de cette Faux crépitante. Il la contre dans un chuintement évoquant de milliers de sanglots, et reprend sa course résolue entre les bâtiments embrumés.

    « Ce fantôme recherche sa destinée dans un monde qui n’existe pas. »

   Dans le ciel, entre deux tiges de métal refroidies, il aperçoit le liserée immaculée d’une aile, qui tranche la voûte enténébrée. Un œil bleu suspend son vol entre deux pans de grisaille, puis s’évanouit, dissipé par le passage d’un feu avide.
   Des larmes de glaces tombent en pluie sur l’avenue. Le spectre rabat son manteau immatériel pour se protéger et s’élance; son épée tournoie et détourne une multitude de cristaux acérés de son être. En heurtant le goudron, ils éclatent, produisent une musique au rythme lent, évoquant des tombeaux entrebâillés, des milliers de corps livides allongés; des reflets de lune jouant sur des pupilles sans éclat. 

    « Ce Fantôme n’est qu’une image volatile dans les prunelles d’un agonisant.. »

   Un brasier infernal pullule dans les orbites creux de la Mort qui s’abat. Le sol explose sous l’impact. Le spectre plonge au milieu des morceaux arrachés de l’avenue, prend appuie sur l’un d’eux, esquive la faux et plonge sa lame étincelante au milieu des lambeaux obscurs.
   Il traverse le voile, atterrit à la lumière d’un éclair furieux, au sommet d’un temple immaculé. Il bondit et s’enfuit, pourchassé par les doigts de foudre d’une divinité haineuse. Il glisse le long d’une colonne avec l’âpreté d’une plume sur du parchemin, rejoint le sol sanctifié et dévale les marches. Tandis que le tonnerre se répercute sur ses talons, un mur infernal déborde jusqu’à l’horizon, engloutissant ses songes et sa vie.

   « Ce Fantôme est le héros d’une histoire livrée aux flammes. »

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"Mon histoire ne s'accorde ni à leur monde, ni à leur mode de vie; leurs vies et la mienne ne suivent pas le même chemin. J'ai un bien autre monde en tête, qui porte dans le même coeur son amère douceur et sa peine aimée, le ravissement de son coeur et la douleur de l'attente, la joie de la vie et la tristesse de la mort, la joie de la mort et la tristesse de la vie. En ce monde, laissez moi avoir mon monde, et être damné avec lui ou sauvé avec lui."

Gottfried de Strasbourg

"Quand Ils parlent d'espérances trompées,
De Tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater les coeurs;
leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air des cercles éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang."


Extrait de La Muse, d'Alfred Musset, tiré du recueil les Nuits de Mai